Avec la crise et les craintes liées à la dette des pays, le projet phare de la Chine traverse une phase critique. Pékin entend amplifier les « routes sanitaires », lancées en 2017, pour regagner la confiance alors que les offensives des puissances occidentales se multiplient.
Le nouveau coronavirus va-t-il confiner la Chine contre son gré ? À l’aune de la pandémie, les Nouvelles Routes de la soie, grand contre-projet de civilisation porté par le président Xi Jinping depuis 2013, ont – temporairement au moins – du plomb dans l’aile. Censée fédérer autour de l’idée d’un développement partagé, la Ceinture terrestre et maritime a du mal à ignorer la nouvelle donne créée par le Covid-19 : rupture des chaînes d’approvisionnement, restriction des voyages et contrôles stricts aux frontières… Déjà, les retards et les dépassements des coûts se font sentir sur les chantiers, et interrogent leur viabilité. « Les entreprises publiques centrales ont connu des retards dans les contrats en cours, une baisse des nouvelles commandes et des risques pour l’approvisionnement en matières premières », explique Xia Qingfeng, chef du service de publicité de la Commission d’État chinoise de supervision et d’administration des actifs.
Main-d’œuvre et monnaie
Ainsi en va-t-il, en Indonésie, de la ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Jakarta à Bandung, bâtie par un consortium sino-indonésien (Kereta Cepat Indonesia-China, Kcic). « La pandémie de Covid-19 a retardé la livraison de matériel importé de Chine. Les experts chinois ne sont pas encore revenus parce que les conditions ne sont pas encore favorables », confirme Chandra Dwiputra, président-directeur général de Kcic. Comme pour l’ensemble des projets en cours sur la Route de la soie, les restrictions imposées par la Chine ont empêché les 300 travailleurs – un cinquième de la main-d’œuvre du projet indonésien – de reprendre les travaux, qui doivent pourtant avancer. L’emploi d’ouvriers chinois plutôt que de travailleurs locaux est d’ailleurs l’une des critiques formulées à l’égard des Routes de la soie et pourrait aujourd’hui pousser Pékin dans ses contradictions.
Vishnu Bahadur Singh, de la fédération népalaise de l’industrie hydroélectrique, admet que « beaucoup étaient des ouvriers spécialisés, difficiles à remplacer localement ». La défiance règne pourtant à leur égard, compliquant la reprise. « La plupart de nos collègues chinois veulent revenir, mais les employés locaux restent effrayés à l’idée de les côtoyer », concède un contremaître chinois à l’AFP. Le Bangladesh, lui, n’accorde plus aucun visa aux ressortissants chinois, mettant de fait en suspens la construction de la centrale électrique de la Bangladesh-China Power Company à Payra (Sud), qui emploie quelque 3 000 Chinois. Aux prémices de l’épidémie, en janvier et février, 39 000 ressortissants de la seconde puissance mondiale ont été envoyés à l’étranger, soit 29 000 de moins qu’en 2019 à la même période.
Autre problème : celui de la baisse de la valeur des monnaies. Le gouvernement sri-lankais, qui avait donné son accord à plusieurs projets stratégiques qui permettaient à la Chine de s’insérer dans l’environnement proche du rival indien, a mis en œuvre une interdiction totale de l’importation de produits dits non essentiels afin d’endiguer le glissement de la roupie et préserver ses réserves de change. Les importations d’équipements et de machines de construction ont en conséquence subi un coup d’arrêt. Et de toucher ici à un autre problème soulevé par les Nouvelles Routes de la soie, celui de l’endettement pour des projets dont l’utilité est remise en question face aux besoins actuels des populations. Au Sri Lanka, c’est le cas du Colombo Financial District, une presqu’île artificielle qui doit abriter une cité financière internationale, une marina, des hôtels et enseignes de luxe et un casino, pour un coût total de 1,27 milliard d’euros.
Formation, prévention, recherche
Face à des pays au bord de l’insolvabilité, la crise du coronavirus pourrait ainsi relancer les interrogations autour des Routes de la soie, conçues comme un soutien à la croissance chinoise, un débouché pour ses entreprises et un relais hors de ses frontières.
Plutôt que d’y mettre un frein définitif, les pays tiers devraient donc étudier avec davantage de précision la viabilité des projets, car le développement des infrastructures pourrait jouer un rôle de stimulus économique à l’échelle mondiale pour entamer la sortie de crise. Les dommages ne sont donc pas irréparables. D’autant que la Chine possède une capacité d’adaptation extrêmement rapide lorsqu’elle identifie un problème.
Ainsi, aux critiques qui font valoir que les Routes de la soie ont permis de faire circuler le virus, Pékin répond qu’elles sont un projet multidimensionnel qui recèle une dimension de recherche et d’échanges universitaires capables de relever les futurs défis. Cette « route de la soie sanitaire » comprend, par exemple, un volet de formation en Indonésie et au Laos, de prévention des maladies infectieuses en Asie centrale et dans la sous-région du Mékong et, ailleurs, de dotation en équipements médicaux. En 2017, le Forum de la Ceinture et la Route pour la coopération internationale, et une réunion à haut niveau à laquelle participaient trente ministres de la Santé et dirigeants d’organisations internationales concrétisaient cette idée. Dix-sept protocoles d’accord y ont été signés avec des pays mais aussi des agences de l’ONU. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, assure que « si nous voulons garantir la santé de milliards de personnes, nous devons saisir les opportunités offertes par l’initiative la Ceinture et la Route ». La crise actuelle, qui révèle les besoins criants d’infrastructures sanitaires dans certains pays, offre à la Chine une possibilité en ce sens. Et un moyen de regagner une confiance écornée.